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Actualités

L’Heureux Cyclage : réparer pour apprendre, réparer pour rouler plus longtemps.

Rencontre avec Pierre-Éric Letellier, chargé de plaidoyer du réseau L’Heureux Cyclage

Promouvoir la réparation et le réemploi du vélo

Depuis plus de quinze ans, L’Heureux Cyclage fédère et accompagne les ateliers d’auto-réparation de vélos partout en France. Créé en 2009, le réseau comptait alors une dizaine de structures ; il en rassemble aujourd’hui plus de 200, réparties sur tout le territoire, en passant par les zones urbaines et rurales.

Son objectif est clair : promouvoir la réparation et le réemploi des vélos, tout en favorisant l’autonomie des cyclistes à l’auto-réparation et la réduction des déchets liés à la pratique du vélo.

Pour Pierre-Éric Letellier, « la richesse du réseau repose avant tout sur la transmission du savoir-faire mécanique. Nous sommes à la fois un acteur de la mobilité durable et un réseau d’éducation populaire : permettre aux gens de se réapproprier les gestes simples de la réparation, c’est aussi leur redonner du pouvoir d’agir. »

La réparation au cœur du mouvement

Dans les ateliers membres de L’Heureux Cyclage, chacun-e peut venir réparer son vélo, trouver des outils, des pièces détachées — souvent issues du réemploi — et des bénévoles ou salarié-es pour être accompagné-es.
Ces ateliers touchent plus de 150 000 personnes par an et représentent environ 10 % des réparations de vélos effectuées en France. Le reste se partage entre les réparateur-ices professionnel-les (25 %) et les cyclistes qui réparent directement chez eux (65 %).

La logique est simple : rien ne se perd. Les vélos irréparables sont démontés pour récupérer des pièces détachées réutilisables.

« On estime qu’en France, 1,5 million de vélos sont jetés chaque année, alors que la moitié pourrait être remise en circulation. Certains ateliers réparent encore des vélos de plus de 50 ans ! »

Cette démarche de réemploi permet de rendre la mobilité accessible à tous-tes : l’adhésion moyenne à un atelier tourne autour de 20 € par an, pour un accès illimité à l’espace et aux outils.

Réparer, un geste citoyen et collectif

L’Heureux Cyclage s’implique activement dans les Journées Nationales de la Réparation.
De nombreux ateliers y participent à travers la France, proposant des animations, initiations et démonstrations.

Lors de l’édition 2025, le réseau était notamment présent à l’événement organisé à Ground Control, à Paris, avec des ateliers de petite mécanique, dont la réparation de crevaisons — un geste simple mais crucial.

 « Chaque année, plus de 300 000 crevaisons pourraient être réparées avec une simple rustine, mais dans les grandes enseignes de réparation, on change systématiquement la chambre à air. Enseigner ce geste, c’est déjà réduire un énorme volume de déchets. »

Pour Pierre-Éric Letellier, ces journées sont essentielles :

« Mettre la main à la pâte dans un atelier, c’est ouvrir son imaginaire. Les JNR permettent à beaucoup de découvrir ces lieux de partage, d’apprendre à réparer et, souvent, de repartir avec l’envie de continuer chez soi. »

Le réseau développe aussi des programmes pédagogiques, comme “Savoir réparer son vélo”, pensé en continuité du programme “Savoir rouler à vélo” désormais inscrit dans le Code de l’éducation.
L’objectif : initier dès le collège les jeunes à la mécanique vélo, par exemple dans les cours de technologie, ou d’EPS.

Défis et perspectives

Comme beaucoup de structures associatives, les ateliers d’auto-réparation fonctionnent grâce à l’engagement bénévole et à des financements précaires.
Les principaux freins ? L’accès à des locaux et la complexité administrative liée aux dispositifs publics de financements.

Autre enjeu majeur : l’arrivée massive des vélos à assistance électrique (VAE).

« Le vélo électrique complexifie la réparation. On perd l’accès aux pièces, les batteries sont difficiles à traiter, et on transforme un objet mécaniquement simple en produit électronique difficilement réparable. Aujourd’hui, seulement 65 % des batteries sont recyclées. »

Pour L’Heureux Cyclage, il est urgent de développer une filière locale de collecte, de réemploi et de sur-cyclage des vélos mécaniques, plutôt que de dépendre de productions neuves importées.

Réparer, c’est soigner

Au-delà de la technique, la réparation est pour Pierre-Éric Letellier un acte profondément humain.

 « Réparer, c’est soigner. C’est remettre du soin dans sa vie et redonner une âme aux objets. »

Dans les ateliers, il observe souvent ce moment de bascule :

« Des personnes arrivent désemparées devant une panne, convaincus qu’elles n’y arriveront pas. Et deux heures plus tard, elles repartent fières, le sourire aux lèvres, avec un vélo réparé. Ce sentiment d’autonomie est incroyable. »

Son conseil pour faire durer les objets ?

« Il faut aimer ses objets. Quand on crée un lien avec eux, on fait tout pour les entretenir et les sauver. »

Réparer pour durer, réparer pour transmettre

En encourageant l’auto-réparation, L’Heureux Cyclage promeut bien plus qu’un savoir-faire : une philosophie de sobriété et de solidarité.
Ces ateliers sont des espaces non marchands, des lieux de rencontre où se mêlent passionné-es, curieux-ses, bénévoles et enfants.

À travers elles et eux, la réparation devient un acte citoyen, collectif et joyeux, une manière de reprendre la main sur ses objets, ses déplacements, et peut-être un peu, sur le monde qui nous entoure.